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Quelles ont été les étapes de restauration du palais de Chaillot ?


Construit entre 1936 et début 1937 en seulement dix-huit mois, le palais de Chaillot est un des archétypes parisiens de l’Art déco, et son plus grand ensemble. Dans un tel délai, la réalisation a demandé une stratégie particulière, avec la réutilisation massive du palais du Trocadéro de Davioud construit pour l’Exposition universelle de 1878. Seule la partie centrale a été totalement remaniée et le dôme monumental remplacé, au travers d’une performance technique pour l’époque, par la terrasse urbaine ouvrant sur la tour Eiffel, avec un théâtre en-dessous. Les ailes conservées reposent sur les reprises en sous-œuvre de Jacques Carlu appuyés sur Davioud, la verticalité des dénivelés et les restes de carrière. Des problématiques complexes que la restauration a révélées.

Pascal Payen Appenzeller


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Quelles difficultés ont été rencontrées ?

Créé entre 1965 et 1967 par Jean de Mailly, architecte BCPN (Bâtiments civils et palais nationaux), et Jacques Le Marquet scénographe, la salle cumulait les défauts, surtout en regard de l’acte sacrilège qu’elle avait nécessité : la destruction d’un trésor de l’Art déco, le bar fumoir, avec son mobilier Rulhman, et les peintures monumentales d’Othon Friesz et de Raoul Dufy.

La salle était longue et étroite, car calée sous l’un des escaliers monumentaux des terrasses du parvis bas, avec un balcon trop surplombant, un parterre encaissé où les premiers spectateurs avaient le nez au ras des pieds des danseurs avec une scène écrasée et un lointain en hémicycle constitué des fondations de l’abside du pavillon de tête, un gril impraticable, la scène exiguë équipée d’une tournette sans intérêt pour la danse. En outre, l’immeuble existant était très mal isolé acoustiquement et climatiquement.

Pourtant réalisées sous l’impulsion de Jean Vilar, finalisées par Georges Wilson, utilisées par de prestigieux metteurs en scène, la salle et la scène conservent une aura pour les personnels du théâtre. Pour les machinos, elle représentait un âge d’or : le TNP d’avant la danse. L’idéologie du classement global avait été pressentie notamment par la conservatrice du palais, Chantal Lavillaureix, mais sans dominer la complexité du palais, de ses quatre institutions pour trois ministères, et de ses espaces souvent déjà fortement réhabilités comme la Cité de l’Architecture en 2003, ou, justement, la salle Gémier !

L’architecte en chef des monuments historiques Lionel Dubois étant très ouvert aux reconversions, le meilleur gage de la conservation, et la critique d’authenticité mise en œuvre pour le lancement de l’opération, offrait toute latitude d’intervention. La salle Gémier et ses environs étaient très vétustes, l’institution troglodyte. La grotte est artificielle, mais son impact est bien réel, sur les installations techniques de traitement d’air ou de désenfumage qu’elle contraint à l’extrême. La question depuis toujours : comment vivre dans ces profondeurs ? À Chaillot, l’enfouissement est hors norme : la salle Vilar est située sous le parvis des Droits de l’Homme, 25 m plus bas, encaissée de près de 10 m par rapport aux fontaines. C’est par une procédure basée sur la compétence, les références et les moyens que la consultation pour désigner un maître-d’œuvre a été lancée. Publiée le 27 décembre 2011, la consultation restreinte a eu le succès attendu : quarante-neuf candidatures ont été reçues.


Combien de temps a duré la quête des autorisations administratives ?

Le statut du site ressemble à une poupée russe. Répétons-le : dans un site classé, l’espace boisé contient un bâtiment partiellement classé, partiellement soumis au permis de construire selon sa protection... Le système aboutit à une demande d’autorisation de travaux sur Monument historique, imbriquée dans un permis de construire, ou l’inverse selon l’interlocuteur, avec un gros volet paysage pour passer en Commission supérieure des sites. Curieusement, l’éventrement d’un monument comme Chaillot n’a pas donné lieu à un long débat. La cause était entendue, la faiblesse connue des structures, le dispositif de reconstruction cohérent, l’implication de l’ACMH et de Dominique Cerclet pour la DRAC, ont vite permis d’entériner une stratégie aussi extraordinaire. L’autorisation de travaux sur monument historique a été acquise dès juillet 2013. Ajoutons aux difficultés spécificités du site que, tous les 14 Juillet, le terrain est baptisé terrain militaire pour le stockage des 5 à 7 tonnes de poudre, contenue dans les fusées rangées sur des camions régulièrement espacés afin d’éviter une réaction en chaîne, avant de devenir une zone ultra-sécurisée pour la réception des VIP.


Quelles ont été les négociations et les entreprises engagées ?

Le 18 juillet 2013, l’avis d’appel public à la concurrence est lancé... Personne n’aurait osé envisager qu’il durerait plus d’un an pour permettre la notification du lot principal, le 17 juillet 2014. Heureusement, l’opérateur avait courageusement décidé de gérer le temps d’obtention des autorisations administratives en tâche masquée, et comme rien ne s’est bien passé, tout a fini par converger ! La consultation du parvis bas est partie avec un peu de retard en août. Les deux opérations sont un sujet d’inquiétude : il aurait fallu aboutir simultanément, ou avec un peu d’avance, pour le parvis bas qui révélait une importante présence d’amiante. Carlu, en précurseur, avait importé cette panacée, alors inconnue en France, de ses contrats américains, utilisée ici comme fibre de liaison pour renforcer l’asphalte de l’étanchéité. Un temps de dépollution important devait être réservé.

Le maître d’œuvre n’a pas dans sa mission les études d’exécution. Négocier avec les entreprises permet donc une toute nouvelle approche sur le « comment » construire. Elle apporte à une grande amplitude de réflexions et de grandes manœuvres méthodologiques aux discussions de marchand de tapis, des modes opératoires les plus fondateurs à la balance des prestations, un sol souple contre un carrelage, avec un potentiel de discorde entre l’architecte attaché à l’esthétique de son projet et le maître d’ouvrage obnubilé par ses recherches d’économies.


La proposition d’une réalisation « tout préfabriqué » vient de là, avec l’arrivée des pré-murs et pré-dalles dans un monument historique. Léon Grosse gagnera. Le programme comportait la démolition totale des terrasses et butonnage, indispensables pour sa solution préfabriquée et donc une grue. La quantité de difficultés rencontrées nourrit l’inquiétude de voir l’opération ne pas aboutir et sera évidemment une vive incitation à assouplir les règles pour le théâtre, qui reprend les prestations d’équipement scénique mis en option. Un blocage subsiste : les études géotechniques, dont les difficultés à venir se pressentent et pour lesquelles l’étude initiale jointe à la consultation s’avèra catastrophique. L’ingénieur structure avait bien analysé l’anomalie de ses conclusions sur l’invraisemblable fragilité décrite, alors que les travaux Carlu avaient considéré les anciennes falaises comme parfaitement stables. Et tout s’était déroulé sans aucun inconvénient. Un nouveau spécialiste réveillera heureusement ces dispositions par ses préconisations.

Pendant ce temps, le parvis rattrapait son retard, relancé avant la fin 2013. Les entreprises ont été notifiées le 30 avril 2014 : Degaine pour la pierre et le désamiantage, Chapelec pour l’étanchéité et Somen pour la serrurerie. Les travaux ont débuté, l’instruction du plan de retrait est en cours. À la suite de la négociation, Léon Grosse a obtenu le gros-œuvre étendu, Léon Grosse électricité les courants forts et faibles, S2R Snef la CVC et la plomberie. Les autres suivront, BC Caire pour la machinerie scénique, Techaudio pour les réseaux scéniques, Hugon pour le gradin télescopique, Otis pour les ascenseurs, ou les lots spécifiques de l’ACMH, Gohard pour les peintures et dorures, ou DBS pour le staff. Les autorisations obtenues ou en cours pour les dernières conventions, les consultations achevées, le chantier pouvait commencer, mais les préoccupations restaient nombreuses, la coexistence conflictuelle des deux chantiers, l’amiante, les études géotechniques d’exécution, la faiblesse des lots techniques...


Quelle a été la gestion du chantier ?

La gestion simultanée de deux chantiers sur la même zone est toujours une entreprise périlleuse, source de risques surtout quand ils sont interdépendants. Ainsi le chantier Gémier attend le désamiantage du parvis bas pour pouvoir démolir, puis plus tard l’étancheur et les pierreux attendront la reconstruction du volume pour pouvoir l’habiller. Quatre-vingts années de stratification à nettoyer, de ramifications mystérieuses à explorer, ce n’est pas facile à transformer en prix global forfaitaire.Les temps et les coûts explosent.

Heureusement les négociations ont abordé cet écueil ; chacun a alors clamé la pertinence de son prix. L’inflation est maîtrisée, un esprit contentieux s’insinuant, et l’ambiance devenant parfois délétère.Les découvertes calamiteuses se sont enchaînées sur le parvis bas. L’architecte Carlu a été un précurseur de l’étanchéité : sans relevé, l’asphalte coulé à l’avancement, s’enfonçant au deux tiers de l’épaisseur du mur ; les crémaillères qui soutiennent les escaliers – point singulier étanchées sur toutes leurs nombreuses faces – et par dessous. Des repentirs de caniveaux seront un casse-tête : après le bitume, un remplissage de mortier renforcé au mâchefer. Il faudra attendre jusqu’au 16 mars 2015, pour que l’ouvrage dépollué soit enfin mis à disposition pour être démoli.

L’enjeu de forer sous un monument si prestigieux, et sa composition hybride, fragile vu sa genèse, ne pouvait qu’inciter à la prudence. L’amiante de l’intérieur, malgré les recherches préalables, vient à parasiter l’avancement. Le réaménagement des années 1960 utilise généreusement ce produit, alors très en vogue, sols, doublages, remplissages, joints, même les câbles qui passaient dans les murs sont positifs. La confrontation au bâtiment de Carlu occupe cette première année.

Deux axes : la dépollution de l’amiante, passée, en moins d’un siècle, de panacée convoitée à fléau sociétal, et la hardiesse des travaux de terrassement de la falaise et de reprise du palais du Trocadéro dans le cadre du principe actuel de précaution. Les 400 tonnes de matériaux pollués, finalement dégagés, régleront le premier. Mais le second plongera le chantier dans un désarroi profond avec les colossaux alignements de butons, et les spectaculaires triangulations, qui ont considérablement augmenté la complexité du chantier. Conséquence implicite : les deux sujétions ont impacté les coûts et les délais.


Le rôle de l’entrepreneur est-il à comparer à un chef d’orchestre ?

Le changement par Léon Grosse de son directeur de projet a été le déclencheur de cette catharsis. L’arrivée de François Cierzniak a permis de retrouver l’élan constructeur. La dynamique entrepreneuriale dont l’énergie s’était dissipée sur la multiplicité des différents fronts. Il attaque les modes opératoires, n’hésitant pas à tout reprendre plutôt qu’à accommoder les morceaux, il a besoin de répondant. La maîtrise d’œuvre est impeccable, bloc cohérent et complice, elle applaudit à cette planche de salut qu’on espérait plus, et s’investit sans réserve.


Alors, les terrasses volent en éclats, les terrassements dévorent la masse calcaire, puits et tunnels se creusent simultanément, près de 5 000 m3 seront évacués, par une noria de camions. Le calcaire du lutécien à vif est partout exposé au soleil après 40 millions d’années d’ensevelissement. Le site est quadrillé d’une myriade de cibles spitées dans les structures, instrument du suivi dimensionnel constant pour prévenir sur tout déplacement. Avec la reprise, l’heure des premiers bilans a sonné. Pour le gros-œuvre les sujétions techniques imprévues ont généré une quantité de devis et malgré leurs propres carences qu’ils reconnaissent, il convient de recalibrer, pour les lots techniques la prolongation des délais leur suffit, et le souvenir chronophage encore frais des purges réalisées alimente leur ardeur. L’opération doit recadrer ses objectifs, le budget doit consolider ses marges d’aléas, et un nouvel et dernier avenant 10 portera le coût global de l’opération à 21.5 millions d'euros. Les activités du théâtre sont bien sûr perturbées. L’immense vide surveillé par l’Apollon musagète est juste derrière le grand mur du palier Paris, séparé de l’extérieur par un pauvre remplissage en parpaings creux. Le gigantesque tableau d’Othon Friesz, rescapé du bar fumoir, doit être démonté à la hâte, il fait froid, la poussière s’insinue et surtout le bruit assourdissant des BRH et des marteaux piqueurs envahit tout le grand foyer, et empêche le déroulement des manifestations en journée.


Que peut-on encore découvrir ?

Tout finit pourtant par se fermer, et la charpente scénique suspendue aux structures peut enfin s’élancer. Les lots techniques envahissent les parties sombres qui leur sont dévolues... Si les parties neuves sont maîtrisées, il y a les franges, les parties conservées où les réseaux aérauliques doivent se frayer un passage dans un capharnaüm de vieux réseaux à bout de souffle, qui s’effondrent si un ouvrier s’appuie dessus. Y ajouter un chaos de mystérieux tuyaux qu’on évite avec peine, alors qu’on les trouve sectionnés un peu plus loin. La conservation du Palais, dirigée par Chantal Lavillaureix, s’est révélée à chaque tempête une alliée précieuse et fiable.

Enfin le hall s’habille, les 15 000 leds de la lentille patiemment alignées et raccordées, partie spectaculaire du projet qui est l’objet de toutes les attentions de l’architecte, par ailleurs éparpillé sur les levées de réserve et bons fonctionnements. Les parties historiques suivies par Lionel Dubois se couvrent d’or. À l’extérieur, les terrasses sont achevées, la rampe d’accessibilité et l’escalier arrondi du perron, n’ont pu que tardivement être entrepris tant que l’aire de chantier et les passages l’interdisaient. Les marchés du théâtre viennent se cumuler avec ceux de l’entreprise de gros œuvre. Équipements scéniques et parquet compatible danse, apportant de nouvelles confrontations, alors que la perspective de la commission de sécurité devient tyrannique et obsessionnelle. Pour celle-ci, il faut que le chantier s’efface, c’est un bâiment prêt à l’usage qu’ils viennent contrôler, mais le chantier n’arrive pas à se terminer ! Pourtant, les cloisons d’isolement tombent, et les palissades disparaissent progressivement. Les personnels du théâre s’enhardissent et viennent regarder, envisager leur prise de possession, se projeter. La période est grise ; la zone fait déjà partie du théâre, de fait elle n’en est plus isolée et le gardien est parti…


Le bâtiment fonctionne enfin correctement, avec une véritable logistique décors, un plateau technique commun aux deux salles, desservi par le monte décors. La salle reçoit les spectacles les plus créatifs grâce à la performance de l’outil créé. Les espaces oubliés de Chaillot revivent, et tous les publics peuvent en profiter. C’est la fin d’une tumultueuse expédition, pour la reconquête de la zone du nouvel outil au profit de la création théâtrale et chorégraphique donnent un sens longtemps entrevue, mais seulement esperé, au profit du haut-lieu de la scène parisienne. La salle Gémier devient la plus grande salle modulable de Paris.


Classement

Le palais de Chaillot est entièrement classé Monument historique : murs, terrasses, décors... sauf le sous-sol et l'intérieur, des salles de théâtre existantes. Les extérieurs sont classés particulièrement les espaces boisés classés de la Ville de Paris, et sont donc intouchables. L'ensemble du site est classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. Les derniers travaux ont dû obtenir, à deux reprises successives, l'approbation de la commission nationale des Monuments historiques, avis nécessaire à l'obtention d'un permis de construire « État ».


Le monument plan « Projet Ville Êtres » présenté par l'architecte

« Le bâtiment fera le projet, puisque sans dessin il n’y a pas de projet, c’est le bâtiment qui doit nous guider, et cette répétition étayée par l’évocation des enjeux forme un récit qui construit un nouveau possible émergeant d’un faisceau de contraintes créatrices : les niveaux multiples à fédérer, les parties protégées à mettre en valeur, les parois, le potentiel de la masse calcaire et des carrières... […] Pour la zone envisagée pour les travaux, il propose non seulement une salle sans commune mesure avec le programme, la plus grande black-box parisienne adossée à un silo, immeuble de cinq étages qui concentre tous les services du stockage aux loges, mais surtout une importante évolution du périmètre de son intervention, la logistique décors entre la zone Wilson, la salle Vilar et la future salle Gémier, la seconde phase envisagée pour les travaux à Chaillot. En découlent presque naturellement les moyens : démolition des terrasses et escalier monumentaux du parvis bas au-dessus de la salle, création dans la masse calcaire d’un réseau de puits et de galeries qui assureront une logistique des deux salles, les relieront entre elles et avec un espace atelier. »

 
 
 

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