Les Catacombes de Pariscrypte souterraine à la fois historique et religieuse
- anaiscvx
- May 2, 2024
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Chacun connaît Paris, capitale de la France, Ville d’art et de culture, Ville lumière… Mais toute lumière génère sa part d’ombre et notre cité n’échappe pas à la règle. Sous la surface parisienne s’est en effet développé un autre monde, un univers presque parallèle mais qui lui est étroitement lié : une ville d’ombre avec ses artères, ses places, ses carrefours. On pense alors souvent soit aux égouts, soit au métro, mais il existe encore en dessous de ces deux structures (la première sous les trottoirs, la seconde sous la chaussée), un niveau de galeries plus profond qui se développe jusqu’à moins 20, voire 25 mètres : les anciennes carrières souterraines de la Ville de Paris dans lesquelles sont aménagés à la fin du xviiie siècle les Catacombes.
Gilles Thomas / historien

Ce terme de « catacombes » a été utilisé pour désigner l’ossuaire général de la Ville de Paris par une simple analogie avec celles de Rome. En effet les Catacombes de Paris n’ont pas une origine les faisant remonter à une lointaine antiquité ; elles n'ont pas servi de lieu de refuge pour célébrer les rites d’une religion réprouvée, ni de lieu de sépulture, tout du moins pas directement (à quelques très rares exceptions près) comme cela fut le cas à Rome, Naples ou Syracuse. Au contraire ce site, maintenant musée de la Ville de Paris, est le résultat d’une décision délibérée, issue de la volonté des administrations royales et parisiennes.
Place d’Enfer, porte du monde de « l’au-delà »
Elles sont aménagées au-delà de la place d’Enfer (aujourd’hui Denfert-Rochereau), bordée dans sa partie sud par deux pavillons construits par Claude-Nicolas Ledoux pour la Ferme générale, cet organisme chargé de percevoir les octrois et autres impôts pour le compte du roi. Ils constituent la « barrière d’Enfer » (ou d’Orléans), une des 54 portes érigées à partir de 1784, points de passage obligatoires pour toutes les marchandises consommables et donc soumises à l’octroi (bois, vins, animaux, paille, savons, etc.) qui pénétrent dans Paris, ville alors confinée par un mur non pas destiné à se protéger contre d’éventuels ennemis du royaume, mais à lutter contre la fraude fiscale.
Pour se rendre compte du parcours de ce mur et donc de la surface de Paris jusqu’en 1860, il suffit de visualiser les deux lignes aériennes du métropolitain de Paris (1) que sont place de l’Étoile – Nation par Barbès-Rochechouart (ligne n°2), et place de l’Étoile – Nation par Denfert-Rochereau (ligne n°6).
Mais avant ces Catacombes, il y a les carrières, qui sont tellement importantes pour la ville que l’on peut considérer que Paris est la fille de l’eau et de la pierre. En effet, la cité s’est établie au confluent d’une voie romaine nord sud qui deviendra la cardo maximus de la future Lutèce (l’actuelle rue Saint-Jacques prolongée par la rue Saint-Martin dans la partie septentrionale de la ville), et de la Seine qui la coupe perpendiculairement, le fleuve étant un autre moyen de circulation des personnes et des marchandises. La présence de cette eau indispensable pour abreuver une population sédentaire, est complémentée par l’existence dans les environs immédiats de cette localisation géographique de bancs de pierre facilement exploitables : du calcaire (dont les anciennes carrières sont essentiellement présentes sous la Rive-Gauche), et du gypse (la pierre à plâtre, exclusivement sous la Rive Droite). Ces deux matériaux ont été exploités dès l’époque gallo-romaine, mais à ciel ouvert ; il a fallu attendre le moyen-âge pour que la méthode se poursuive directement dans la masse rocheuse en sous-sol, créant une multitude de carrières souterraines artisanales et indépendantes les unes des autres.
Lorsqu'est prise la décision de supprimer le plus vieux et le plus important des cimetières parisiens, celui des Saints-Innocents, qui se situe peu ou prou au niveau du Forum des Halles (2), l’emplacement qui est choisi dépend du fief de Saint-Jean de Latran sur le territoire de la commune de Montrouge. Plus exactement, on retint les anciennes carrières de calcaire sous-minant abondamment la Plaine de Montrouge : les carrières de la Tombe-Issoire. C’est donc un terrain en dehors de Paris qui est choisi pour les ré-inhumations des restes mortuaires qui ont été enterrés dans ce cimetière, ou qui sont alors déjà entreposés dans les galetas au-dessus des arcades entourant le terrain. À la fin du xviiie siècle, sous l’influence d’un grand mouvement hygiéniste, les cimetières sont chassés hors les murs de la ville. La déclaration royale du 10 mars 1776 a pour conséquence de supprimer les lieux d’inhumation urbains entourant les églises, ainsi que la création de trois nouveaux cimetières extra-muros (Père-Lachaise, Montparnasse et Montmartre) ; mais l’annexion des communes suburbaines le 1er janvier 1860 leur fera réintégrer géographiquement le giron parisien. De 1787 à 1814, un peu moins de 20 cimetières parisiens accolés aux églises sont ainsi vidés de leur population, qui est « relogée » dans ce nouveau « havre de paix » souterrain qui devient alors de modernes Catacombes. C’est Charles-Axel Guillaumot, le premier Inspecteur des carrières, qui a la tâche de sélectionner le site retenu, pour constituer nos fameuses Catacombes parisiennes.
Des visites parcimonieuses mais pas toujours respectueuses
Dans les premières années de leur aménagement, les Catacombes sont restées longtemps inconnues du grand public, et semble-t-il de nombre d’habitants. C’est une brochure publiée en 1810 par Héricart de Thury, et relayée par plusieurs articles dans les journaux, qui fait leur première publicité et draine vers ce nouveau site touristique Parisiens, mais aussi étrangers. Les événements politiques de 1814 et 1815 font aussi beaucoup pour la réputation des Catacombes, puisque à cette occasion des étrangers viennent les parcourir.
« Toutes les descriptions de Paris, tous les Guides du voyageur de la Capitale ont un chapitre pour les anciennes carrières qui s’étendent sous cette ville, et la plume d’un ingénieux écrivain s’en est récemment emparé pour y placer la scène d’un de ses plus sombres romans. » Cette vision des choses idyllique – une campagne de publicité dont n’oserait rêver aucun conservateur de musée de peur de passer pour un doux utopiste – est une description qui date du milieu du xixe siècle et est due à un expert : Eugène Lefébure de Fourcy, à l’époque simple ingénieur des mines en 1855, mais qui deviendra Inspecteur général des carrières de la Seine le 14 juillet 1866. Quant au roman en question, il s’agit de l’ouvrage d’Élie Berthet s’intitulant tout simplement Les Catacombes de Paris. Ce livre est édité et réédité de très nombreuses fois, ce qui dénote aussi un intérêt certain du public pour ce sujet dans la littérature. En effet, si une première version est publiée en 1832, l’édition de 1856 connaît vingt-deux réimpressions entre sa première parution et 1877 !
Du temps d’Héricart de Thury, les visites des Catacombes ne sont ni limitées à l’ossuaire proprement dit, ni vraiment libres puisque encadrées par des employés de l’Inspection des carrières, tandis que le parcours n’est pas complètement figé. Mais dans les années 1830-1840 un certain nombre d’événements entraînent leur interdiction pendant quelque temps : des dégradations, des visiteurs égarés, des manques de respects et autres incivilités. Par la suite, un célèbre événement de cette nature délictueuse se produit dans la nuit du 1er au 2 avril 1897 : l’organisation d’un concert clandestin où résonnent entre autres la Danse macabre, la Marche funèbre, et autre Symphonie héroïque, et au cours duquel sont déclamées des poésies de circonstance.
Mais, comme avant la fermeture par décision administrative le nombre de visiteurs est déjà considérable et qu’une demande se fait depuis pressente et insistante, le maire de Montrouge (sous le territoire de laquelle se déroule la visite jusqu’à l’annexion de 1860) adresse plusieurs suppliques à Rambuteau, alors préfet de Paris, afin de faire rouvrir l’Ossuaire. Ce n’est qu’après plusieurs années que les visites collectives sont à nouveau autorisées, en les limitant à quatre par an. En 1867, les visites deviennent mensuelles. À partir de 1874, bimensuelles : les premiers et troisièmes samedis de chaque mois, et chaque samedi l’été. Les visites de l’ossuaire sont en revanche de nouveau interrompues plus tard, mais pour une autre raison : le déclenchement des hostilités vis-à-vis de l’Allemagne nazie dès septembre 1939. Elles ne reprennent qu’en 1946, toujours selon le même rythme : hebdomadaire l’été et seulement deux samedis par mois hors période estivale. On peut néanmoins noter (par la présence de certains graffitis dans le site) que pendant l’Occupation, s’il est interdit aux Français d’y descendre, des Allemands le font. Ce n’est que depuis 1982 que le public est dorénavant accueilli tous les jours, sauf le lundi et certains jours fériés immarcescibles.
Une population plus nombreuse que celle du Paris de surface
S’il est couramment retenu que les ossements proviennent des squelettes de décédés en quantité plus importante que l’ensemble des habitants de la capitale (l’estimation d’aujourd’hui évalue que ce sont les ossements de trois à six millions, pour une population parisienne de seulement deux millions d’habitants), de même il est souvent affirmé que l’arrivée des ossements dans cet ossuaire général de la Ville de Paris s’est déroulée en deux périodes principales qui sont d’avril 1786 à 1814 (seize cimetières sont supprimés entre 1792 et 1814), puis pendant les fameuses grandes percées haussmanniennes (soit 1859-1860) ; la réalité est beaucoup plus complexe. L’historien de Paris Jacques Hillairet recense pas moins de deux cents cimetières et autres lieux de sépulture dans l’histoire de la capitale, et pratiquement tous ont été transférés dans les Catacombes dans lesquelles on ne relève in situ qu’un peu plus de vingt-cinq origines différentes. En effet, n’ont été matérialisés que les transferts d’ossements conséquents entraînant un dépôt volumineux. Le premier cimetière à y être déversé est donc celui des Innocents. Il a reçu pendant plus de dix siècles les dépouilles des générations décédées dans vingt-deux paroisses de Paris, plus les morts de l’Hôtel-Dieu (un hôpital étant à cette époque plus un mouroir qu’un lieu de guérison) et ceux de la morgue ; le sol s’en trouve exhaussé de près de deux mètres cinquante.
Citons, à titre d’exemple concernant l’absence d’identification de l’origine de certains ossements, ceux de l’église Saint-Germain l’Auxerrois (3) qui ne sont localisés nulle part, pourtant leur transfert anticipe lui aussi le mouvement puisqu’un transport d’ossements en provenant se serait déroulé en décembre 1785. Ceux de l’église Saint-Leu Saint-Gilles sont matérialisés par une plaque évoquant leur arrivée au moment des travaux haussmanniens en 1859 ; pourtant un premier dépôt originaire du cloître y a en fait déjà lieu en janvier 1786, mais son nom n’apparaît nullement dans les Catacombes. L’apport le plus considérable provient des Saints-Innocents puisque ce sont les restes de deux millions de Parisiens qui auraient été retirés au cours des différentes exhumations successives nécessaires pour vider le cimetière, activité principalement nocturne, du moins le transport par charrois des monticules d’ossements. Cette activité se déroule sur une durée de plus de deux années, l’activité étant concentrée en automne et durant l’hiver afin d’éviter les inconvénients nauséabonds olfactifs qu’auraient pu générer les chaleurs estivales. De l’emplacement de ce cimetière, on retrouve encore des restes humains au moment des profonds travaux de terrassement nécessité pour la création du forum des Halles et de son pôle de transport multimodal (métro et RER) au milieu des années 1970.
Si cela commence par le cimetière des Innocents, c’est suite à un accident en février 1780 qui fait exploser une fosse commune de plusieurs centaines de corps, dont le contenu se déverse dans une cave voisine sise rue de la Lingerie. C’est la goutte d’eau qui vient de faire déborder le vase de la tolérance des riverains : ce cimetière est devenu une cause d’infection et donc un sujet de plaintes permanentes et de revendications régulières demandant sa fermeture, devant les conséquences sur la santé publique que pose sa présence dans la proximité d’habitations plus qu’immédiate. Il est alors décidé de le clore car il déborde littéralement de trop plein de corps, et de le laisser en repos durant cinq années, le temps de trouver un terrain d’accueil pour le vider. Celui-ci est donc choisi à l’époque sous la banlieue parisienne, précisément sous la plaine de Montrouge, dans d’anciennes carrières abandonnées depuis plusieurs siècles. Ainsi à la suite de l’arrêt du Conseil d’État du 9 novembre 1785, Mgr Leclerc de Juigné, archevêque de Paris, donne le 16 novembre suivant un décret portant « la suppression du cimetière des Innocents, sa démolition et son évacuation, ordonnant que le terrain en sera défoncé à la profondeur de cinq pieds, les terres passées à la claie, que les corps ou ossements qui s’y trouvent seront transportés et inhumés dans le nouveau cimetière souterrain de la plaine de Montrouge ».
À partir de 1911, un emplacement destiné à recevoir les ossements de sépultures anciennes découvertes au cours de fouilles, a été réservé au cimetière du Père-Lachaise. La concession se trouve dans l’avenue Circulaire, près du tunnel du chemin de fer de Ceinture (79e division) contre le square Gambetta. Mais ce n’est qu’en 1925 que des restes humains, exhumés à Port-Royal, probablement ceux de deux religieuses de l’abbaye, y ont été inhumés pour la première fois. Quant à la fin des apports aux Catacombes, nous savons que jusqu’au milieu des années 1920, les ossements trouvés dans les fouilles exécutées à Paris continuaient d’être dirigés sur l’Ossuaire, mais il faut bien reconnaître que l’importance de ces envois était alors devenue plus que négligeable, tant pour les matérialiser par une plaque gravée que pour en tenir un registre, du moins à l’époque.
Des carrières de calcaire converties en ossuaire général parisien
L’architecte du roi Charles-Axel Guillaumot, qui est « Inspecteur des carrières sous Paris et plaines adjacentes » et donc chargé de consolider la ville que l’on vient de découvrir sous-minée par d’anciennes carrières souterraines, prépare le site des carrières retenues en commençant par l’assainir (à cause d’infiltrations dues à des fuites de l’aqueduc d’Arcueil), et le consolider (certains piliers naturels étaient affaissés, les ciels lézardés par endroit, quand ce ne sont pas des effondrements qu’il fallait contenir), pour le rendre apte à accueillir le futur ossuaire parisien et à ce que les ouvriers qui vont y travailler (notamment pour l’installation des dépôts d’ossements) puissent le faire en toute sécurité ; une communication entre étage supérieur et inférieur est également établie. Parmi les tout premiers équipements qui sont rendus nécessaires, on compte une lampe sépulcrale, soit une simple coupe sur un colonne permettant d’y entretenir un foyer, aux fins d’assurer la circulation de l’air, méthode simple mais oh combien efficace.
Par la suite, Héricart de Thury, le successeur de Guillaumot dans le titre et la fonction, aménage le lieu pour qu’il soit digne de recevoir du public en y créant des aménagements particuliers ayant parfois une double fonction, continuer de parfaire la solidité du lieu tout en leur donnant des formes adaptées à un espace religieux. Parmi les plus représentatifs : l’autel des Obélisques est un ensemble (piliers, murs, remblais) qui est édifié pour empêcher un éboulement général que laisse craindre le très mauvais état de cette partie ; le sarcophage du Lacrymatoire, lequel présente l’aspect d’un tombeau, mais sert en réalité à consolider le lieu ; de même que les piliers érigés autour de fontaine de la Samaritaine permettent d’étayer le ciel en mauvais état à cet endroit, ou pour la même raison le pilier du Mémento, dressé au croisement d’un vaste carrefour de galeries afin que le ciel s’appuie dessus ce qui en réduit la portée. En plus de la sécurité bien évidemment indispensable à toute visite, Héricart de Thury at souhaité dispenser une initiation pédagogique sous la forme de deux cabinets de curiosités, l’un destiné à la minéralogie (pour y présenter la composition du sol parisien depuis la « surface de la terre » jusqu’à la couche de craie profonde, le tout agrémenté de concrétions, vieux outils ainsi que de quelques pièces archéologiques), le second consacré à l’ostéo-pathologie (y exposant des ossements difformes, ou présentant des particularités naturelles, des traces de maladie, des cassures réparées, voire des trépanations). En plus de ces espaces scientifiques, dont on ne peut que regretter la disparition dès l’aube du xxe siècle, des monuments ont été dédiés à la diffusion d’informations liées à l’histoire traumatisante de la fin de la royauté : quatre cippes monumentaux, trois consacrés aux éléments préfiguratifs de la Révolution française, le dernier aux massacres perpétrés dans les prisons parisiennes en septembre 1792.
Hormis ces éléments constitutifs du décor général, on trouve dans l’ossuaire de très nombreuses plaques gravées que l’on peut regrouper en deux familles : celles permettant d’identifier la provenance des ossements (cimetières, églises, cloîtres, travaux dans les rues), remontant certainement pour les plus anciennes à Charles-Axel Guillaumot, et celles portant des textes profanes ou des citations religieuses. Les premiers proviennent soit d’auteurs classiques, qu’ils soient français, latins, grecs, et qui le sont restés pour certains (Lafontaine, Racine, Molière), mais pour d’autres, le nom même de leur auteur est aujourd’hui entré dans les « catacombes de la littérature », comme Legouvé, Lemierre, Malfilâtre, etc. À défaut de pouvoir dire qu’ils se connaissent tous, la plupart des poètes de cette fin du xviiie siècle ayant eu les honneurs d’être représentés dans l’ossuaire, sont au moins en relation les uns avec les autres. D’autres inscriptions sont visibles dans le parcours d’approche de l’ossuaire (et autrefois dans celui des fontis pédagogiques menant à la sortie, mais qui est fermé depuis décembre 2015) comme des noms de rues, qui permettent d’identifier la position de la galerie par rapport à la surface, système en vigueur dans l’ensemble des carrières sous Paris. De même, dans ces parties hors ossuaire, chacun des piliers maçonnés de confortation des carrières est numéroté selon une codification standardisée par Guillaumot : numéro d’ordre, initiale de l’Inspecteur des carrières et année de réalisation.
Un décorum romantico-macabre
Les textes reproduits dans l’ossuaire font très souvent partie d’un panel de maximes et autres réflexions connues sans qu’on en identifie forcément leur origine, d’autant plus lorsqu’elles sont transcrites en latin (voire exceptionnellement en grec), une langue désormais peu usitée, alors qu’elle faisait partie d’un fonds d’enseignement traditionnel et que beaucoup de ceux qui avait des universités le comprenait encore. Un temps, ces plaques avaient été soigneusement peintes en blanc, pour faire ressortir le noir animal déposé dans le creux de la gravure, ce noir et blanc apportant une dichromie qui sied au deuil tout en possèdant une connotation maçonnique, venant de la sorte s’adjoindre aux sentences qui appellent souvent à réfléchir sur la brièveté de la vie sur terre. On pourrait s’étonner que le concepteur et muséographe de l’ossuaire n’ait pas pensé à une inscription telle que « Vanités des vanités, tout n’est que vanité » ; en réalité à l’origine elle y était bien, successivement en français, italien, anglais, latin et grec, mais elle a disparu depuis, comme environ soixante-dix autres tables monumentales gravées, dont certaines qui devaient peser pas moins de 100 kg ! Il est par ailleurs aujourd’hui difficile de localiser la crypte de la Vanité, dans laquelle était lisible ce texte, ainsi que d’autres arrêts autrefois ménagés dans le parcours, tels des étapes d’un chemin de croix spirituel. Héricart avait en effet pris l’habitude de donner des noms aux différentes parties du cheminement dans l’ossuaire : ainsi il identifia de simples renfoncements dans les parois d’ossements (dites alors cryptes), des carrefours, des couloirs ou un simple élargissement d’une galerie, très souvent du nom de l’inscription principale qui y était gravée.
Sauf au risque de confusion avec la croix ou pilier du Mémento, on pourrait rebaptiser de ce nom la crypte de l’Ecclésiaste car elle renferme trois sentences en latin tirées de la Bible et introduites toutes par Memento… (un massif de maçonnerie de base carrée, érigé au tout début du xxie siècle, isole de ces trois plaques une quatrième de l’autre côté de l’allée et qui commence pareil, « Memento iræ, quoniam non tardabit », la rendant presque invisible dans l’ombre qu’elle est désormais). Inversement, des inscriptions gravées ont pu être déplacées au cours du temps et en fonction de l’évolution du parcours offert à la curiosité touristique. De même, certaines cryptes ont souffert de cette « danse macabre » pas toujours facile à suivre. C’est le cas de d’une grande Croix de pierre, de la lampe sépulcrale, ou de la grande roue constituée d’os longs qui avait été installée autrefois à proximité de l’autel des messes, laquelle a été démontée en 1866.
Les ossements ont été rangés dans les emplacements retenus comme les carriers constituaient des « hagues » (ces murs en pierres sèches retenant les déchets d’exploitation entassés derrière) lors de leurs exploitations. Ici ce sont les os longs, rangés à la manière de fagots de bois, les épiphyses en apparence, qui servent de parement à l’amoncellement de tous les autres éléments constituant le squelette, à l’exception des crânes. Ceux-ci sont utilisés pour couronner d’une ligne de crête ces murailles d’ossements, ou former des cordons parallèles horizontaux au-dessous, quand ils ne sont pas organisés pour dessiner des formes géométriques, carré sur la pointe, un cœur (qui a été réalisé après 1860), mais surtout des croix, car il ne faut pas négliger le fait que l’ossuaire est l’égal d’une église ; autrefois des crânes isolés étaient aussi mis en exergue en les déposant simplement sur des éléments du décor.
Le 7 avril 1786 − journée qui est généralement retenue comme le début des apports d’ossements dans les Catacombes − est en fait la date de la consécration religieuse à la demande de Mgr de Juigné, l’archevêque de Paris. Y officient les abbés Motret, Mayet et Asseline et tout le clergé de la paroisse Saint-Hyppolite dont dépend la Tombe-Issoire. Cette cérémonie se fait en présence de Guillaumot, de membres de l’Inspection des carrières et d’architectes de la Ville (Legrand et Molinos). Le transport des ossements s’organise alors et se répète selon un rituel scrupuleux : à la nuit tombante, des chars funéraires recouverts de draps noirs, accompagnés de porteurs de torches, et suivis de prêtres en surplis et étoles chantant l’office des morts, se rendent jusqu’à un puits de service pour y déverser leurs chargements de « monuments du trépas ». Pour les ossements sortis directement des tombes (individuelles ou fosses communes), il paraît tout à fait normal que le lieu destiné à les accueillir ait être béni auparavant par les ministres de la foi, alors que le dépôt de ceux extraits des ossuaires et autres charniers installés dans les galetas sur le pourtour du cimetière des Innocents, avait pu se faire sans cette précaution pieuse puisqu’ils avaient en quelque sorte déjà perdu le caractère sacré de leur « humanité ».
L’égalité dans un anonymat généralisé
L’ensemble de ces restes humains repose ici désormais de manière anonyme, le pauvre côtoie le riche, s’y trouvent mendiants et ministres, manants et représentants de l’ordre, prostituées au côté d’hommes de la foi, dans une parfaite égalité devant la mort. La seule personne nominativement citée ici-bas est Françoise Gellain dite dame Legros, grâce à sa pierre tombale qui est descendue dans l’ossuaire au moment de l’apport d’ossements qui avaient été entreposés provisoirement dans le cimetière de Vaugirard, comme cela était préconisé durant les grands travaux d’Haussmann. Une mesure spéciale de haute convenance a ainsi été prise pour s’affranchir du problème posé par les nouvelles abondantes quantités d’ossements trouvées très souvent au cours de fouilles de fondation. Il est décidé que « les ossements, à leur extraction du sol, seraient placés immédiatement dans les tonneaux vides de ciment romain et transportés ainsi rue de Vaugirard, 6 [signalé dans l’ossuaire sous les gravures « Ossuaire de l’Ouest »] en attendant leur inhumation définitive aux Catacombes ». À partir de septembre 1859, ce cimetière de Vaugirard est donc lui aussi vidé au bénéfice des Catacombes.
Déjà en 1837, un des cimetières dit de Vaugirard a été supprimé en vue d’élargir la voie qui deviendra le boulevard Pasteur (on y a alors enterré 150 000 personnes), et on a transporté dans l’ossuaire les restes qui ne sont pas réclamés par la famille. Certains ossements sont donc passés par une étape intermédiaire, avant de gagner l’endroit ultime de leur dernier repos : Vaugirard, au milieu du xixe siècle. De même, lorsque sont violés les tombeaux de l’église Saint-Eustache pendant la Révolution, les ossements sont tout ou en partie d’abord « jetés dans le cimetière de l’église », pour finalement gagner ultérieurement les Catacombes.
Tandis que contrairement à ce que l’on pensait jusqu’à tout récemment, si les ossements d’un cimetière de la Madeleine (celui de la rue de la Ville l’Évêque) ont été transférés aux Catacombes, ce ne sont pas ceux des centaines de Gardes suisses tués aux Tuileries ou bien les dépouilles des mille trois cent quarante-trois personnes guillotinées entre 1792 et 1794 pendant la Terreur, dont Charlotte Corday. Les ossements de toutes ces victimes n’y arriveront jamais, car extraits en fait d’un autre cimetière de la Madeleine, ils ont été rassemblés derrière les murs de la crypte de la Chapelle expiatoire (8e arrondissement), selon une découverte archéologique de septembre 2018. La pente douce, permettant de gagner les « Catacombes basses » à partir de cet emplacement, est parfois dénommée (mais cette appellation est peu usitée il est vrai) « galerie des étrangers », car elle débute par le monument commémoratif de la visite d’Oscar de Suède en présence de l’archiprêtre d’Upsal le 7 mai 1867, soit en pleine Exposition Universelle, leur raison première d’être tous deux à Paris à cette date.
Tout ce que l’on peut désormais dire concernant les plus illustres des occupants de ces lieux, est que, si le cimetière où ils ont été inhumés a été transféré dans l’ossuaire, il y a une probabilité non négligeable que certains de leurs restes s’y trouvent… mais quelque part, sans que l’on puisse affirmer avec précision un emplacement qui serait identifié par une plaque gravée de provenance. En tout cas, la plaque signalant l’origine du massif d’ossements ne donne plus aujourd’hui qu’une indication certifiant que tel lieu de sépulture a été vidé au profit de l’ossuaire, sans pour autant assurer que tous les restes humains de l’emplacement en proviennent, car des empilements d’ossements sont régulièrement reconstitués sans qu’il n’y ait forcément de rigueur quant à leur provenance.
Un parcours chaotique soumis aux aléas de la surface
La période haussmannienne voit donc un agrandissement de l’ossuaire devant les quantités considérables d’ossements qu’on y déverse de nouveau : le parcours en est radicalement changé. On y pénètre depuis par le vestibule actuel, de même que l’on ne traverse plus les carrières dites du chemin de Port-Mahon qui constituait au xixe siècle une alternative d’approche. Ces modifications se sont produites à plusieurs reprises depuis l’ouverture de l’ossuaire au public. Il était d’ailleurs auparavant possible de visiter un peu plus de galeries en dehors de celles contenant les dépôts d’ossements, en plus de cette carrière dite de Port-Mahon, désormais classée Monument historique. En 1815, le début du parcours ne partait pas de Denfert en plongeant directement vers le Sud du 14e arrondissement ; on remontait un peu vers le Nord avant de passer sous un emplacement aujourd’hui occupé par le RER B, autrefois ligne de Sceaux.
Lorsque la gare de départ de ce chemin de fer (on disait « l’embarcadère ») est construite en cet endroit en 1846, il faut assurer sa stabilité en renforçant ses fondations, ce qui perturbe une première fois le cheminement des visiteurs. Puis en 1895, lors de l’extension de la ligne entre les stations Denfert et Luxembourg, de nouvelles consolidations modifient encore le parcours souterrain. D’autres changements interviennent, comme par exemple le bain de pieds des carriers et le secteur des sculptures de Décure que l’on rend à nouveau accessible en juin 1937, mais pour un temps très bref car la visite des Catacombes est totalement interdite pendant la guerre… sauf donc pour les Allemands. Par la suite, de 1995 à 2008 il n'est à nouveau plus possible de passer dans ce secteur, aléas de la programmation muséologique parfois difficile à comprendre.
Contrairement à certaines rumeurs, l’ossuaire n’a jamais été désacralisé, pas plus qu’il n’est protégé par une quelconque mesure (inscription ou classement) au titre des Monuments historiques. Au contraire, la religion y est d’autant plus présente qu’on peut toujours y dénombrer un certain nombre de croix en pierre, en plus de celles réalisées par un amoncellement de crânes. On y trouve aussi cet autel qui servit à célébrer la messe une fois l’an, le jour des morts, donc le lendemain de la Toussaint. Pour y assister, il fallait au préalable s’inscrire auprès de la paroisse Saint-Dominique, le nombre de places étant bien évidemment limité à cause de la surface très restreinte de l’emplacement précis de la célébration. En plus de celle-ci, Héricart de Thury a envisagé dès l’ouverture du site au public (le 30 juin 1809) un service solennel et expiatoire tous les ans dans l’Ossuaire pour honorer « les restes des malheureuses victimes massacrées par les assassins et brigands des deux et trois septembre dans les prisons de l’abbaye de Saint-Germain des Près, du Couvent des Carmes de la rue de Vaugirard et du Séminaire de Saint Firmin rue Saint Victor ». Inversement, d’autres messes sont organisées en surface, à l’initiative de « l’Œuvre des sépultures » une société chrétienne. On sait que dans les années 1860, une messe était ainsi commémorée à midi dans chacune des églises d’où provenaient les ossements, le jour anniversaire de leur translation dans les Catacombes. Tandis qu’une messe générale est dédiée à l’ensemble des personnes dont les ossements reposent dans l’ossuaire, concélébrée le dernier jour de chaque mois dans une église différente. Puis, à partir du 1er novembre 1866, les messes de l’Œuvre des sépultures n'ont plus été célébrées qu’à l’église Notre-Dame, à 11 h du matin.
De retour dans « l’empire du jour »
Puisque qu’il est temps de remonter à la surface en tournant cette page, rassurez-vous, vous ne risquez pas de vous perdre au cours de votre séjour dans l’Empire de la mort. Il est vrai que parfois il est question de visiteurs égarés, soit dans les textes de journalistes en manque de sensation, soit via des illustrations de ces mêmes papiers. Précisons tout de suite qu’il est dorénavant totalement impossible de s’y perdre contrairement aux années avant 1982… lorsque la construction d’un confinement parfois épais de très nombreux mètres isola l’ossuaire du reste des carrières environnantes d’une manière brutale, pour éviter les intrusions tant clandestines qu’intempestives. Dans ces articles, il y a en réalité confusion (entretenue volontairement ou par ignorance) entre les Catacombes (= l’ossuaire) et les catacombes (l’ensemble des galeries de carrières sous Paris), le distinguo ne tenant il est vrai qu’à l’emploi d’une initiale en lettre capitale.
Désormais, ce qui n’était pas le cas au xixe siècle jusqu’aux années 1950 (période pour laquelle on peut découvrir dans la presse ancienne des récits de visiteurs qui s’égarent lors de leur incursion souterraine, parce qu’ils sont sortis, à dessein ou par manque d’attention, du balisage), on ne peut espérer s’affranchir de l’ossuaire en dehors de l’escalier d’accès et de celui de sortie (plus un troisième servant de sortie de secours). Le visiteur se trouve enfermé entre quatre murs, dans une espèce de labyrinthe qui ne propose finalement aucun choix car chaque galerie ne présente qu’un sens unique obligatoire duquel on ne peut s’échapper. Au xixe siècle, il était conseillé aux amateurs de sensations qui venaient s’encanailler dans les Catacombes, de ne jamais s’éloigner d’un trait noir en ciel (un fil d’Ariane très large marqué au goudron) les guidant entre la base de l’escalier d’accès et l’entrée de l’ossuaire, puis entre la sortie de l’ossuaire et la base de l’escalier de retour, marquage qui n’est plus d’aucune utilité maintenant, mais à bien observer le ciel à l’intérieur de l’ossuaire, on remarque par endroit de telles flèches toujours présentes, ou parfois qu’on l’on a maladroitement essayé d’effacer lorsque la déambulation y est modifiée.
Lors d'un passage sur et sous Paris, rappelons que ce lieu mérite tout le respect qu’il convient à une église, fut-elle souterraine. Pouvoir y circuler dans le silence, procure un étrange sentiment de calme et de paix qui incite au recueillement et à la méditation. Mais inversement, avoir la chance de pouvoir y assister à un concert de voix pures et cristallines, comme cela a été le cas avec la chorale du chœur Aedes dans la crypte du Sacellum (emplacement de l’Autel des messes) la veille de la Toussaint 2022, cela pourrait déclencher le syndrome de Stendhal chez certains auditeurs particulièrement sensibles. Cette première mondiale a été organisée dans cet écrin souterrain, qui s’est révélé approprié pour une telle performance, par la fondation Roc Eclerc afin de faire connaître une œuvre musicale spécialement composée pour l’occasion, un « Requiem civil ».
Plus sincères remerciements à Gaspard Duval et Laurent Antoine « LeMog » (pour les photos et retouches d’images).
Histoire et archéologie
« Quiconque écrit l’histoire de son temps doit s’attendre qu’on lui reprochera tout ce qu’il a dit et tout ce qu’il n’a pas dit » Voltaire (lettre à Valentin Philippe Bertin de Rocheret, 14 avril 1732). « L’histoire, il faudrait la réécrire à chaque époque » (Alexandre Dumas). « Il faut être plus méfiant sur le terrain de l’histoire que sur celui de la vie. La certitude est rarement absolue. C’est tout ce que nous pouvons affirmer » (Héron de Villefosse, Histoire de Paris). « Le travail d’archéologue consiste à se raconter une histoire en espérant que c’est la bonne » (Didier Busson, archéologue de la Commission du Vieux Paris lors d’un entretien avec Marie-Douce Albert pour le Figaro du 24 octobre 2002).
Mise au point
Lors de la Commune de 1871, différents actes de dégradations sont perpétrés vis-à-vis de bâtiments parisiens, mais il n’y a aucune « chasse à l’homme » dans les Catacombes, contrairement à une rumeur tenace due à une erreur d’interprétation journalistique à l’époque, entretenue par une gravure largement diffusée. Ainsi les tombeaux de l’église Saint-Laurent (10e arrondissement) sont « violés par les fédérés » le 17 avril. L’Inspecteur général des carrières d’alors, Eugène Jacquot, fait faire un monument copié sur ceux édifiés par Héricart de Thury, mais beaucoup moins raffiné, à la fois dans le style et la gravure, qui en a été corrigée, vers 1880, selon Émile Gérards, à la suite de la visite d’un personnage politique qui trouve les mots quelque peu... impropres. « Tombeaux […] violés par les Fédérés » est alors remplacé plus tard par « Ossemens […] déposés », avec curieusement l’omission du « t » à Ossements, alors que suite à la réforme de l’orthographe de 1835, au pluriel les mots se terminant en « ant » ou « ent » gardent depuis le « t » devant le « s » ; auparavant le « t » était supprimé, on disait qu’il « tombait devant le S ». De plus, sur le cippe on ne peut que remarquer que subsistent toujours les lettres « v » et « s » entourant le mot « déposés », ce qui ne manque d’interroger car le correcteur ne pouvait pas ne pas l’avoir vu !
Petite subtilité
Un monument que l’on ne trouve pas dans l’ossuaire des Catacombes, mais qui est exactement de la même facture que les trois commémorant les événements de la Révolution française, et qui sont dus à la volonté d’Héricart de Thury, tout comme celui-ci. Par ceux de l’Ossuaire, il souhaite matérialiser leur importance pour l’Histoire, mais aussi et surtout rendre hommage aux malheureuses victimes de ces pages sombres, ce « temps de désastre et de malheur », par ces « sépultures qui y furent successivement données aux victimes de nos dissensions… » Philibert Aspairt, alors âgé de soixante-deux ans, est descendu le 3 novembre 1793 sous Paris (mais hors Ossuaire donc) certainement par simple curiosité et empruntant pour cela un escalier se trouvant dans la cour de l’hôpital du Val-de-Grâce ; on ne retrouve que son squelette, le 30 avril 1804. Son mausolée, qui a été dressé à l’exact emplacement de la découverte, se trouve sous le boulevard Saint-Michel soit à environ 1,2 km de l’entrée du musée des Catacombes en surface (en ligne droite), ou 1,6 km de l’entrée de l’Ossuaire sous terre (en réalité plus, car les cheminements souterrains sont davantage tortueux). Mais très nombreux sont encore ceux qui imaginent à tort le trouver dans le musée, donc la partie des carrières ouverte au public moyennant le défraiement d’un droit d’accès, car ils lisent que ce monument ce trouve dans les « catacombes de Paris », autrement dit les anciennes carrières souterraines dans leur globalité, subtilité qui leur échapppe !
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