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L’assassinat du duc de Berryle 13 février 1820


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Il y a deux cents ans, dans la nuit du 13 au 14 février 1820, Charles-Ferdinand d’Artois, duc de Berry, était assassiné. Cet événement connut un fort retentissement dans le pays. À travers la mort du neveu du roi Louis XVIII, c’est l’avenir de la dynastie des Bourbons qui se trouvait frappé en plein cœur. Les conséquences politiques ne se firent pas attendre tandis qu’un rebondissement, quelques mois après l’assassinat, apporta un nouvel espoir aux royalistes.


Mathieu Geagea

Près de cinq ans après la chute de l’Empire, le roi Louis XVIII apparaît dans l’opinion comme un monarque modéré, menant au palais des Tuileries une vie de cour sans fastes excessifs. Sur le plan politique, le souverain est surtout perçu comme le garant d’un équilibre entre les ultraroyalistes et les libéraux. En outre, en cinq ans de règne, il est parvenu à ramener la prospérité dans une nation sortie exsangue des dernières guerres napoléoniennes. Ses opposants, qu’ils soient bonapartistes ou républicains, demeurent trop faibles et divisés pour menacer sérieusement la position royale.

Même s’il démontre une certaine force de caractère, il n’en demeure pas moins que Louis XVIII est un roi vieillissant, âgé de soixante-quatre ans, souffrant de diabète et d’une goutte qui empire avec les années et l’oblige à se déplacer à l’aide de béquilles, voire en fauteuil roulant. Si l’heure de la succession n’a pas encore sonné, l’avenir de la dynastie des Bourbons est cependant loin d’être acquis, ce qui n’est pas sans susciter l’inquiétude des royalistes. Le roi n’a jamais eu d’enfant. Premier dans l’ordre de succession, son frère, le comte d’Artois, de moins de deux ans son cadet, est, pour sa part, père de deux fils. Son aîné, Louis-Antoine, duc d’Angoulême, âgé de quarante-quatre ans, est déjà marié depuis plus de vingt ans. Une union restée stérile. Le cadet, Charles-Ferdinand, duc de Berry, plus charismatique que son frère aîné, incarne l’avenir de la dynastie des Bourbons. Âgé de quarante-deux ans, marié depuis plus de trois ans, il est devenu le père, en septembre 1819, d’une petite fille. Tous les espoirs des monarchistes reposent donc sur les épaules de ce prince qui apparaît comme le seul membre de la famille royale à même d’en assurer la continuité.

Proche de la franc-maçonnerie et des ultraroyalistes, le duc de Berry semble le plus réactionnaire des Bourbons. À l’opposé de son oncle Louis xviii, qui s’applique à composer avec l’héritage de la révolution et de l’Empire, Charles-Ferdinand d’Artois appartient aux nostalgiques de l’Ancien Régime, appellant de leurs vœux au rétablissement d’une monarchie absolue et de droit divin, telle que l’a incarnée Louis XVI avant le déclenchement de la Révolution. De la sorte, le duc de Berry s’inscrit dans la lignée de son père, partisan également du retour de l’absolutisme royal.

Pourtant, bien que prédestiné à monter sur le trône, Charles-Ferdinand d’Artois ne s’implique guère dans les affaires politiques. Il mène, auprès de sa femme Marie-Caroline et de sa fille Louise, depuis sa résidence du palais de l’Élysée, la vie d’un simple particulier qui se plaît à sortir dans Paris sans aucune sécurité. Le duc et la duchesse de Berry, peu conformistes, apprécient en effet de déjeuner en tête-à-tête dans les jardins de l’Éysée ou de se promener incognito dans les rues de la capitale pour se rendre dans les magasins. Loin de la cour du palais des Tuileries, ils profitent d’une vie insouciante en allant par exemple écouter de la musique sur les Champs-Élysées ou en se rendant aux théâtres Feydeau et Comte.


Un grand coup de poignard

L’arrivée du mois de février annonce la période du carnaval. Bals masqués et cotillons se succèdent. Le 13 février 1820, à la faveur du « dimanche gras », le duc et la duchesse de Berry se rendent à l’opéra de la rue de Richelieu, communément appelé salle Montansier, à l’emplacement de l’actuel square Louvois. Le programme comprend les ballets pantomimes de Louis Milon, Les noces de Gamache et Le carnaval de Venise. Fatiguée, la duchesse ne souhaite pas demeurer jusqu’à la fin du spectacle. Au moment de l’entracte, à 23 h, son mari la raccompagne donc jusqu’à sa voiture, tandis que lui entend bien rester jusqu’au terme de la représentation. Une fois la portière refermée, le duc de Berry, qui ne porte ni chapeau ni manteau, s’en retourne à pied, encadré par onze personnes, vers l’entrée de l’Opéra qui n’est distante que de quelques mètres.

C’est au moment où le prince s’apprête à entrer dans le bâtiment qu’un homme, après avoir bousculé brutalement les personnes qui l’escortent, pose une main sur son épaule, tandis qu’il porte de l’autre un grand coup dans sa poitrine. L’individu est apparu « comme une flèche », rapportera l’un des témoins de la scène. Aussitôt après, l’homme prend la fuite sans que quiconque ait eu le temps de réagir, tandis que sa victime s’effondre au sol. À la question que lui pose aussitôt le comte Charles de Mesnard – « Seriez-vous blessé, Monseigneur ? » –, le duc de Berry répond en criant : « Je suis mort, je suis mort, je tiens le poignard. »

Tout se précipite. Pendant que certains se lancent immédiatement à la poursuite du fugitif, la duchesse, alertée par les cris de son époux, descend instantanément de sa voiture qui commençait à partir. Soutenu par le comte de Mesnard et par un valet, le blessé parcourt avec la plus grande peine les quelques mètres qui le séparent du vestibule de l’Opéra où il s’étend sur une banquette. Sur l’insistance du duc qui n’y parvient pas, la dame d’atour de la duchesse l’aide à retirer le poignard de la plaie située juste en-dessous du sein droit, ce qui l’éclabousse de sang. Le visage livide, saignant abondamment, le fils du comte d’Artois est en passe de perdre connaissance. Aussi, face à la gravité de sa blessure, est-il transporté dans le salon de la loge royale. Appelés de toute urgence, trois médecins se précipitent au chevet du duc, lequel, dans un râle, leur lance : « Vos soins sont inutiles, le poignard a pénétré jusqu’au cœur. » Les hommes de l’art vont néanmoins alterner saignées et ventouses pour tenter de soulager le mourant. Très rapidement, la rumeur de l'attentat se répand dans Paris.

Dans l’heure qui suit, le frère, la belle-sœur et le père de la victime arrivent en toute hâte. C’est le cas également du président du Conseil Élie Decazes lequel, dès son arrivée, se voit interpeller par le comte d’Artois : « Allez prévenir mon frère, suppliez-le d’avoir du courage. Nous sommes bien malheureux. […] Nous comptons sur vous. » Rapidement attrapé dans sa fuite, l’auteur de l’attentat, Louis-Pierre Louvel, âgé de trente-six ans, a été conduit sous bonne garde à l’Opéra où son interrogatoire a débuté dans une pièce que seul un cabinet sépare du salon dans lequel agonise sa victime. En sa qualité également de ministre de l’Intérieur, Élie Decazes participe alors à l’interrogatoire et demande notamment à Louvel si la lame de son poignard était empoisonnée. Ce dernier répond par la négative. Après quoi, Decazes quitte rapidement l’Opéra pour se rendre auprès du roi aux Tuileries.


De l’espoir au pessimisme

C’est le comte de Mesnard qui, le premier, a été dépêché au palais des Tuileries afin de faire réveiller le roi et l’informer de l’événement qui vient de survenir. Témoin direct du drame, le comte pense alors que la blessure du duc n’est pas mortelle. Lorsque, quelques minutes plus tard, Decazes se présente à son tour, ses propos corroborent ceux du comte. Pour lui aussi, le duc ne semble pas en danger de mort. Le président du Conseil tente donc de dissuader le souverain de se rendre sur place tant il connaît ses difficultés pour se déplacer.

Vers minuit et demi, le médecin militaire Guillaume Dupuytren, chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, arrive à son tour au chevet du duc de Berry, lequel l’accueille par ses mots : « Monsieur Dupuytren, je souffre cruellement !... » Professeur et praticien avant tout, Dupuytren est connu pour avoir exécuté et perfectionné presque toutes les opérations chirurgicales, notamment la cicatrisation de l’intestin dans les hernies étranglées. Dans le compte rendu qu’il dressera quelques jours plus tard, le médecin décrira sa première vision du duc en ces termes : « Ses traits altérés, son teint plombé, son attitude forcée et pénible sur le côté droit du corps, sa respiration courte et fréquente, la plainte qu’il exhalait à chaque instant, la petitesse, la faiblesse et l’irrégularité de son pouls indiquaient assez la gravité de son état. » Après une syncope, l’état du prince s’améliore progressivement, ce qui redonne l’espoir aux personnes qui l’entourent et fait courir le bruit dans Paris que le neveu du roi survivra à cet odieux attentat.

Mais, rapidement, l’oppression et les douleurs réapparaissent. Pour lDupuytren, il convient d’agir promptement. Saignées et ventouses n’y pourront rien, pas plus qu’il ne faut tenter de fermer la plaie. La priorité est de mettre un terme à l’épanchement de sang. Après avoir reçu le consentement du comte d’Artois, la nécessité d’opérer est aussitôt communiquée au duc qui y consent avec courage. Une incision est donc réalisée à la peau qui permet de découvrir une ouverture dans l’espace intercostal et de confirmer l’existence d’un épanchement sanguin, sans pour autant qu’il soit possible de localiser précisément d’où le sang est parti. Le docteur entend alors le duc lui dire à voix basse : « Je suis bien touché de vos soins, mais ils ne sauraient prolonger mon existence : ma blessure est mortelle. » Répétant régulièrement : « Je suis blessé à mort, le cœur a été frappé », le blessé demande lui-même à recevoir le viatique et les prières des agonisants. Puis, se tournant vers son père, il l’interroge sur les motivations de l’individu qu’il l’a poignardé, soupçonnant l’intéressé d’être le mari, le père ou le frère d’une de ses conquêtes féminines et d’avoir voulu venger son honneur : « – Qu’ai-je fait à cet homme ? Je l’ai peut-être offensé sans le vouloir ? – Non, mon fils, vous n’avez jamais vu, jamais offensé cet homme, il n’a contre vous aucune haine personnelle », lui répond le futur Charles x pour l’apaiser.

Autour du blessé, aux membres de la famille royale, médecins et courtisans, se mêlent comédiens en costume de scène ou curieux anonymes. L’Opéra, envahi par les ambassadeurs, les maréchaux et une foule de badauds, reste illuminé toute la nuit. Les informations les plus contradictoires relatives à l’état de santé du duc circulent. Toutes les heures, les bulletins qui sont envoyés aux Tuileries, et que le roi attend avec angoisse, restent encore optimistes. Cependant, à partir de 3 h du matin, l’espoir de sauver le blessé s’amenuise. Le duc est alors transporté au calme dans un des bureaux de l’administration de l’Opéra et couché dans un lit devant un feu. « Réduits au rôle d’observateurs passifs et probablement impuissants, il nous fallut répondre à toutes les questions d’une famille et d’une cour désolées et, sans les désespérer jamais, il fallait éviter de leur donner des espérances qui ne pourraient pas être réalisées », écrira Dupuytren.


Une interminable agonie

Informé que le calvaire du duc ne durera plus longtemps, le roi, malgré ses problèmes de santé, choisit de se rendre au chevet de son neveu agonisant. Totalement conscient de l’issue fatale, le blessé exprime précisément le souhait de voir son oncle : « Le roi ne vient-il pas ? Je mourrai avant de le voir. Je sens que la mort avance, que je me refroidis. » C’est vers 5 h 30 que Louis XVIII, dans son fauteuil roulant, arrive auprès de son neveu. Aussitôt qu’il aperçoit le roi, le duc de Berry semble aller mieux : « – Pardonnez-moi d’avoir ainsi troublé votre sommeil, murmure-t-il respectueusement. – Mon enfant, répond doucement le roi, j’ai fait ma nuit, je ne vous quitterai plus. » À sa femme qui ne cesse de sangloter, et qui, submergée par la douleur, menace de s’évanouir, Charles-Ferdinand demande : « Ménagez-vous pour l’enfant que vous portez dans votre sein. » La surprise se lit sur tous les visages car nul ne savait la duchesse enceinte. Puis, soucieux de mettre sa conscience et ses affaires en ordre, le fils du comte d’Artois révèle l’existence de quelques enfants illégitimes qu’il a eus au gré de ses relations, demandant à ce que ses progénitures reçoivent les plus grandes marques d’affection de la part de la famille royale.


Au roi de France, le duc de Berry lui demande la grâce de l’homme qui l’a poignardé. Malgré son chagrin, Louis XVIII ne peut se résoudre à promettre d’épargner celui qui vient de porter un coup si cruel à l’avenir de la dynastie. Tout au plus lui répond-t-il que s’il survit à ses blessures, l’individu ne sera pas exécuté. Sentant sa fin proche, le duc demande ensuite au roi qu’il lui donne sa main à baiser. Rares sont les membres de la famille royale à ne pouvoir retenir leurs larmes devant une telle agonie. Louise d’Orléans, alors âgée de quatre mois, a été conduite auprès de son père afin qu’il puisse la voir une dernière fois, tandis que sa mère pousse des cris et se lamente tant et si fort qu’elle est emmenée hors de la pièce pour se calmer et ne pas incommoder le mourant. C’est en bon chrétien que ce dernier attend venir la mort, comme le rapportera son frère aîné, le duc d’Angoulême : « Il n’a pas prononcé une seule plainte, implorant toujours la miséricorde de Dieu. Moins d’une heure avant sa mort, je l’ai vu joindre ses mains avec peine, les croiser et dire : “Mon Dieu, ayez pitié de moi. Très Sainte Vierge, je suis à ses pieds.” Puis, il frappa trois fois sa poitrine. »

Le duc, réunissant le peu de forces qu’il lui reste, se confesse alors publiquement pour obtenir réparation des péchés commis et des scandales qu’il aurait pu donner par sa conduite. À l’évêque de Chartres, le prince interroge : « Dieu me pardonnera-t-il ? Mais, qu’ai-je fait à cet homme ? N’est-ce point une vengeance personnelle ? Ô France ! Ô ma patrie ! » Dans la dernière heure, un redoublement de souffrances à la tête et au ventre conduit le duc à évoquer sa douleur : « Quelle cruelle agonie ! Comme elle est longue ! Durera-t-elle encore longtemps ? Monsieur Dupuytren, le pouls remonte-t-il ? » Puis, se tournant une dernière fois vers l’évêque, il lui demande : « Parlez-moi toujours, croyez-vous que Dieu me fera miséricorde et me pardonnera mes péchés ? » Dans les minutes qui suivent, le duc ne parle plus. Peu à peu, sa respiration diminue. À 6 h 30, le docteur Dupuytren prend de nouveau le pouls de son patient. Ne le sentant plus battre, il demande un miroir. Le roi lui tend alors sa tabatière à couvercle de verre. Placé sous les narines de Charles-Ferdinand, il n’est terni par aucune buée. Ayant compris, Louis XVIII se lève, s’approche du lit d’un pas mal assuré, puis ferme les yeux du défunt avant de lui baiser la main. « Il cessa de respirer et d’exister, avec le plus grand calme, et rendit sa belle âme à son Créateur, comme celle d’un bienheureux dont les sept dernières heures nous donnent la juste espérance qu’il jouit en ce moment de la présence de Dieu », écrira le duc d’Angoulême.


La chute de Decazes

Au-delà de l’émotion suscitée, c’est sur le plan politique que les conséquences sont importantes. Élie Decazes, président du Conseil depuis moins de deux mois, devient instantanément la cible privilégiée des ultraroyalistes qui lui reprochent sa politique libérale, trop conciliante à l’égard des ennemis de la monarchie. Quelques heures seulement après la mort du neveu du roi, le 14 février, à la Chambre des députés, le président du Conseil est violemment pris à parti par le député de l’Aveyron, Jean-Claude Clausel de Coussergues, qui, sans détour, propose « l’acte d’accusation contre monsieur Decazes, ministre de l’Intérieur, comme complice de l’assassinat du duc de Berry ». Sentant monter les oppositions à son égard, le président du Conseil prend lui-même l’initiative d’adresser sa démission au roi. Ce dernier, qui considère Decazes comme le fils qu’il n’a pas eu, ne peut se résoudre à s'en séparer.

Mais le déchaînement de la presse royaliste rend la position de Decazes intenable. Le 15, Le Drapeau blanc affirme que lors du court interrogatoire de Louvel effectué à l’Opéra, le ministre de l'Intérieur aurait donné des conseils à l’assassin pour sa défense. Dans La Gazette, organe de presse des royalistes, ces derniers ne louvoient pas : « Monsieur Decazes, c’est vous qui avez tué le duc de Berry. Pleurez des larmes de sang. Obtenez que le Ciel vous pardonne, la patrie ne vous pardonnera pas ! » Dans Le Conservateur, Chateaubriand se fend d’un article virulent : « La main qui a porté le coup n’est pas la plus coupable. Ceux qui ont assassiné Monseigneur le duc de Berry sont ceux qui, depuis quatre ans, établissent dans la monarchie des lois démocratiques, […] ceux qui ont laissé prêcher dans les journaux la souveraineté du peuple, l’insurrection et le meurtre. » Paru le 18, l’article sera repris le lendemain dans Le Journal des débats. Parallèlement, le roi subit la pression de son frère, qui serait allé jusqu’à se jeter à ses genoux pour exiger le renvoi de son favori : « Tant que monsieur Decazes est en place, les jours de la famille royale ne sont pas en sureté », aurait alors déclaré le comte d’Artois. Le roi finit par céder et consent à accepter, le 20, la démission de Decazes, qui, élevé au rang de duc par Louis XVIII, se voit nommer ambassadeur en Grande-Bretagne. « Le pied lui a glissé dans le sang », ironisera Chateaubriand. C’est Armand-Emmanuel du Plessis de Richelieu, déjà président du Conseil entre 1815 et 1818, et proche des ultraroyalistes, qui lui succède.


Un deuil royal

Alors que la classe politique s’agite, ambassadeurs et corps constitués se succèdent aux Tuileries. Une heure après son décès, la dépouille du duc de Berry y a été portée pour être mise en bière et exposée dans la même salle qui accueillit le corps de Henri IV juste après son assassinat. Du 14 au 21 février, des milliers de personnes viennent aussi se recueillir devant la chapelle ardente. Le deuil est vécu, dans les cours européennes, aussi douloureusement que s’il s’agissait d’un régicide. À Paris, le préfet de police, Jules Anglès, promulgue le jour même de la mort une ordonnance interdisant les réjouissances du carnaval prévues dans les rues les lundi et mardi gras. Bourse, bals, spectacles et lieux publics sont fermés. Le 14 mars, un mois jour pour jour après l’assassinat, assis à la tribune face au catafalque, le roi préside, en dépit de l’usage, les obsèques. Il a été décidé que le duc serait inhumé à la basilique Saint-Denis, auprès des rois de France.

Dans la tradition de la tripartition du corps, les entrailles du défunt sont déposées dans un monument érigé dans l’église Saint-Maurice de Lille, tandis que son cœur est porté dans la chapelle du château de Rosny-sur-Seine, ancienne propriété du duc. Cinq ans après le transfert dans la nécropole des rois des restes de Louis XVI et de Marie-Antoinette, c’est un autre de ses martyrs que la monarchie porte en terre. Le frère du défunt, le duc d’Angoulême, le visage marqué par le chagrin, conduit le deuil. Présent à la cérémonie, Charles de Rémusat écrira : « Monsieur le duc d’Angoulême est dans un état d’abattement presque singulier. Les événements étant devenus plus forts qu’il ne peut les porter. » Toute la famille royale est présente, tandis que plus de quatre mille personnes ont pris place dans l’enceinte de la basilique. Chateaubriand ajoutera : « Tant de grandeur dans cette pompe qu’on aurait cru assister aux funérailles de la monarchie. » Pourtant, ce même jour, les regards se portent également en direction de la duchesse, dont le ventre arrondi laisse entrevoir tous les espoirs des royalistes.

Le procès

Au terme de son premier interrogatoire effectué à l’Opéra, Louvel a été conduit au ministère de l’Intérieur vers 3 h 30, quelques heures avant que sa victime n’expire. Il déclare alors avoir commis cet assassinat de son propre chef, sans y avoir été mandaté ou reçu de l’argent, et sans avoir bénéficié d’aucune complicité : « Il y a six ans que je médite ce projet. J’ai réussi, enfin. Je savais, en faisant ce coup, ce qui m’était réservé. » Dans la soirée du 14 février, l’individu est transféré à la Conciergerie. Le lendemain, la Chambre des pairs s’érige en cour de justice en vertu des fonctions que lui attribue l’article 33 de la Charte constitutionnelle. Plus de trois mois et demi durant, elle s'emploie à recueillir témoignages, renseignements, bruits ou indices les plus légers et les plus minutieux sur une éventuelle aide. Ces investigations n’apportent pas le résultat escompté et conduisent la cour de justice à rendre un arrêt de mise en accusation contre Louvel seul.

François-Laurent Archambault et Louis Bonnet, bâtonniers de l’ordre des avocats de Paris, sont nommés d’office pour assurer la défense. En les voyant entrer dans sa cellule, Louvel leur dit : « Messieurs, je m’en rapporte entièrement à vous : d’ailleurs, il y a bien peu de chose à dire. On m’a signifié l’acte d’accusation, je l’ai trouvé bien. Je crois que vous en serez contents. Lundi on me mettra en jugement ; mardi je serai condamné... Eh bien ! tout pourra être terminé mercredi. » Le 5 juin, il est conduit de la Conciergerie au palais du Luxembourg pour répondre à l’acte d’accusation face aux pairs de France. Aux questions qui lui sont adressées, l’accusé explique, avoir appelé son projet d’assassinat « horrible » : « Parce qu’elle est toujours horrible l’action d’un homme qui se jette sur un autre pour le poignarder par derrière. Depuis longtemps, je suivais le prince. J’ai entendu quelqu’un de sa suite donner l’ordre aux voitures de revenir à onze heures. […] Je me suis sacrifié pour la France. » Dans la foulée, ill révèle avoir effectué, dans un but semblable, le voyage jusqu’à Calais en 1814, lorsque Louis XVIII devait débarquer en France après l’abdication de Napoléon. Sans détour, l’accusé clame : « Tout Français qui a porté un jour les armes contre sa patrie perd à jamais sa qualité de citoyen français. Les Bourbons n’ont pas le droit de rentrer en France, et surtout d’y vouloir régner. Louis XVI a été exécuté légalement et justement de l’aveu de la Nation entière. La Nation serait déshonorée si elle se laissait gouverner par cette race de traîtres. »

Dans leur réquisitoire, les avocats considèrent que leur client n’a pas commis de crime de haute-trahison « puisqu’il n’a livré ni l’État, ni ses secrets, ni ses places », avant d’évoquer les caractéristiques d’une maladie que la médecine nouvelle a baptisé « monomanie ». Ils rappellent aussi que, sur son lit de mort, le duc a réclamé avec insistance que son assassin soit gracié. À l’issue de la séance, sans surprise, le chancelier de la Chambre des pairs prononce l’arrêt qui condamne Louvel à la peine de mort. Initialement prévue le 7 juin à 8 h, l’exécution sera reportée de dix heures. Durant cet intervalle, le procureur général tente, sans succès, de solliciter Louvel de faire des aveux, de même que des instructeurs du procès cherchent recueillir les déclarations que le condamné serait éventuellement amené à faire au pied de l’échafaud. Une foule immense couvre le Pont-au-Change, le pont Notre-Dame, les quais et la place de Grève pour assister au trajet, puis à la décapitation qui intervient peu après 18 h.


L’enfant du miracle

Si Louvel, en assassinant le duc de Berry, pensait « détruire la souche des Bourbons », son dessein semble mis à mal par la grossesse de la veuve. Trois mois et demi après l'exécution, dans la nuit du 28 au 29 septembre 1820, elle accouche aux Tuileries d’un garçon. La joie de la famille royale est telle que, sans attendre, on ordonne de faire tonner le canon de l’Hôtel des Invalides dès 5 h du matin ! Prénommé Henri-Dieudonné, le fils posthume de Charles-Ferdinand d’Artois se voit aussitôt surnommé par les royalistes d'« enfant du miracle ». Pour les Bourbons, c’est une joie inespérée. Titré duc de Bordeaux, l'enfant ne montera cependant jamais sur le trône : dès l’âge de dix ans, il empruntera avec sa famille le chemin de l’exil à la suite de la révolution de 1830 et décédera en 1883, à soixante-deux ans, sans postérité.


Une éphémère chapelle expiatoire

L’Opéra de la rue de Richelieu, après cette tragique nuit, n'accueille plus de spectacles. Sur décision du roi, il est fermé, condamné à l’inactivité avant d’être démoli en vue d’y bâtir en lieu et place une chapelle expiatoire. Ce bâtiment, œuvre des sculpteurs Charles Dupaty, Jean-Pierre Cortot et Pierre Cartellier, abritera un monument funéraire en l’honneur du duc. Il ne reste plus qu’à y réaliser les travaux d’ornement lorsque la révolution de juillet 1830 change la donne. La monarchie orléaniste préfère détruire la chapelle pour y créer dès 1839 un square qui sera complété, en 1844, à la demande de Louis-Philippe, par une monumentale fontaine conçue par Louis Visconti et dédiée à Louvois, ministre de Louis XIV. Plusieurs arbres seront alors plantés pour convertir le nouveau square et ses 1 925 m2 en un lieu de promenade dès le Second Empire. Quant au monument funéraire qui se trouvait dans la chapelle expiatoire détruite, il est amené à la basilique Saint-Denis près de la dépouille du prince. Il restera entreposé pendant plus d’un siècle dans la crypte-chapelle des Bourbons. Une fois celle-ci restaurée, en 1976, il sera remonté derrière le chevet de la basilique, près de la sacristie.


Itinéraire d’un antimonarchiste

Né à Versailles en 1783, Louis-Pierre Louvel a appartenu à un régiment de la garde dans les dernières années de l’Empire avant d’en être rapidement réformé en raison de sa faible constitution. Ouvrier sellier dans la ville de Metz, c’est de 1814 que remonte sa haine de la royauté lorsqu’il assiste à l’invasion de la France par les armées alliées désireuses de renverser Napoléon pour y rétablir la monarchie. Se jurant « d’exterminer tous les Bourbons », il est employé aux selleries de l’île d’Elbe lors de l’exil de Napoléon, puis à Livourne et Chambéry. Il rejoint Lyon au retour de l'Empereur et aurait pris part à la bataille de Waterloo. C’est à La Rochelle, en 1815, que Louvel aurait ensuite fait fabriquer le poignard dont il se servira cinq ans plus tard. Après la chute de l’Empire, il se fait alors employer… aux selleries de Louis XVIII et observe ainsi la famille royale. C’est à partir de cette période qu’aurait germé dans son esprit l’idée d’assassiner le duc de Berry.


 
 
 

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