De Cadet à Gare du Nord un Quartier témoin du Second Empire
- anaiscvx
- May 2, 2024
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9e et 10e arrondissements
Malgré les turpitudes du xxie siècle, les quartiers de Cadet à la gare du Nord ont su conserver une bonne touche des temps passés avec les constructions typiques du Second Empire et de la Belle Époque.
Texte et photos : Emmanuelle Papot. Carte : Jean-François Krause.

Pour mieux appréhender la diversité des 9e e et 10e arrondissements, la visite débute à la station de métro Richelieu-Drouot (ligne 8). La station, ouverte depuis 1931 au niveau de la rue Drouot, a été baptisée ainsi en hommage au comte Antoine Drouot (1774-1847), général d’artillerie qui accompagna notamment l’empereur Napoléon Ier à l’île d’Elbe. C’est la rue Chauchat, percée en 1779 et qui joignait au départ la rue Chantereine (où Bonaparte et Joséphine logeaient avant la campagne d’Italie) à la rue de Provence qui ouvre la voie vers Cadet. Elle tient son nom d’un échevin, Jacques Chauchat.
Cette rue offre une belle diversité architecturale avec notamment, au n° 6, un hôtel de style néo-Renaissance construit en 1879 par l’architecte Claude David. Au croisement avec la rue Drouot, l’hôtel des ventes offre une image résolument moderne avec son architecture : un large bâtiment « réinterprétation surréaliste de l'architecture haussmannienne ». Inauguré le 8 mai 1980 par Jacques Chirac, alors maire de Paris, et dessiné par Jean-Jacques Fernier et André Biro, il s’élève en lieu et place du tout premier bâtiment qui avait été inauguré en 1852. Au n°16, l’église évangélique de la Rédemption, temple luthérien qui date de 1841-1843, a été établie à partir d’une ancienne halle du service de l’octroi, et est l’œuvre de l'architecte François-Christian Gau puis de Théodore Ballu qui l'acheva. Au n°24, dans un bel immeuble décoré de têtes de lions, se trouvait le siège du célèbre journal monarchiste puis républicain Le Siècle (1836-1932).
La rue Chauchat débouche sur la rue Lafayette au niveau de la station de métro Le Peletier (ligne 7) qui porte le nom du dernier prévôt des marchands (1784-1789), Louis de Mortefontaine. C’est à cet emplacement que s’élevait l’ancien opéra de Paris où eut lieu l’attentat d’Orsini contre Napoléon III le 14 janvier 1858.
La rue la Fayette mène très rapidement à la rue du Faubourg Montmartre. Voie étroite, elle conserve un aspect populaire notamment avec au n°42 son passage des Deux-Sœurs, voie percée en 1780, connue d’abord sous le nom de « cour des chiens » puis « cul-de-sac Coypel » avant de prendre son appellation définitive vers 1815, rappelant que ce passage était situé sur un terrain appartenant aux sœurs Devaux. Il est aujourd’hui une voie privée. La rue du Faubourg Montmartre croise la rue Cadet.
LA RUE CADET
Ancienne rue de la Voirie jusqu’au xviie siècle (alors zone d’épandage), la rue Cadet devient au début du xviiie siècle résidentielle et le duc d’Orléans s’y construit comme d’autres un pied-à-terre. Selon la légende, cette rue tiendrait son nom depuis 1853 de Jean Cadet, maître-jardinier sous le règne de Charles IX qui faisait pousser fruits et légumes sur un terrain d’immondices, employant en quelque sorte la technique du compost avant l’heure.
Au n°9 s’élève un bâtiment du xviiie construit autour d’une cour. Il a été réalisé en 1735 pour le baron Jules-David Cromot du Bourg et se verra transformé en hôtel particulier par l’architecte Chalgrin (1739-1811). En 1807, le facteur de piano Ignace Pleyel y installa une fabrique d'instruments où Chopin donna l’un de ses premiers grands récitals. Le bâtiment aujourd’hui est un logement social et la cour est devenue le jardin Cromot Dubourg.
Au n°16 se situe, depuis 1858, la Loge maçonnique du Grand-Orient de France (D) depuis que le prince Murat, ancien-grand maître, acheta l’ancienne demeure parisienne du prince de Monaco (installé en 1700) − qui fut aussi celle du duc de Richelieu en 1725, puis de Savary, grand maître des Eaux et Forêts, en 1760 et enfin, en 1780, de Le Cordier de Bégars, président du parlement de Rouen. Le musée de la Loge y est installé en 1853. Au début des années 1970, une nouvelle façade futuriste est plaquée sur le bâtiment PHOTO 8.
Au n°18 se trouve l’emplacement de l’ancien Casino-Cadet, inauguré en 1859, très en vogue sous le Second Empire. I l devait son succès à la célèbre Rigolboche (Marguerite Badel), danseuse de cancan. Le cabaret fut fermé pendant la guerre de 1870. On le remplaça par les bureaux de l’imprimerie du journal Le xixe siècle d’Edmond About.
Au n°19 et 21 s’installa en 1869 le Petit Journal, premier quotidien à 1 sou fondé par Polydore Millaud et qui fut dirigé par Émile de Girardin (1806-1881). À voir, au n°26, un magnifique immeuble avec une impressionnante colonnades de deux niveaux. La rue Cadet débouche sur la rue de Montholon.
DE MONTHOLON À MAUBEUGE
Ouverte en 1780, la rue de Montholon porte le nom, non pas du général d’Empire mais de Nicolas de Montholon (1736-1809), conseiller d'État. Cette rue mène au square du même nom. Ce jardin public d’une belle surface est intéressant par les grilles dessinées par Gabriel Davioud, les gigantesques platanes centenaires et un amusant groupe statuaire en marbre. Celui-ci représente quatre femmes souriantes et chapotées. Intitulé La Sainte Catherine, il est l’œuvre de Julien Lorieux. Datant de 1908, il rend hommage aux ouvrières du quartier. En traversant, dans sa diagonale, le square s’ouvre sur la rue Pierre Sémard où un escalier mène à la rue Bellefond. Ouverte au milieu du xviie siècle, cette voie porte le nom de Marie-Éléonore de Bellefond, abbesse de Montmartre de 1700 à 1717. Une rue sans prétention mais où les façades se laissent admirer. Elle mène à la rue de Maubeuge. Cette dernière porte le nom de l’une des villes du Nord desservies par la gare du Nord, située à proximité. Cette rue assez large est un bel exemple du xixe siècle avec ses immeubles aux façades sculptées dont celle qui entoure le square du même nom au niveau du n° 56, en fait une impasse résidentielle ouverte en 1892, au bout de laquelle une petite statue d’une Vénus trône dans un petit ensemble végétal. Au niveau du croisement avec la rue du Faubourg Poissonnière, on accède au 10e arrondissement.
D’ABBEVILLE À MAGENTA
La rue d’Abbeville a été ouverte pour sa première partie en 1827 et il faut attendre vingt ans pour que soit achevée la seconde. À voir le majestueux immeuble Art Nouveau situé au n°14. Construit en 1901 il doit sa somptueuse façade au concours organisé par la Ville de Paris. Dans l’optique de remporter le prix, les architectes Alexandre et Édouard Autant se surpassèrent. Cet édifice est depuis inscrit au titre des Monuments historiques.
La rue d’Abbeville débouche place Franz Liszt du nom du grand compositeur et pianiste hongrois. Ouverte en 1822, le lieu porte d’abord le nom de Charles X puis de La Fayette en 1830 pour devenir en 1842 place Bossuet avant de redevenir La Fayette et de trouver son nom actuel en 1962.
Cette place sert de parvis à l’église Saint-Vincent-de-Paul, bâtie sur l’emplacement de l’enclos Saint-Lazare, ancienne léproserie du xiie siècle, où se trouvait une ferme et se tenait une foire. Les plans de l’église et sa construction avaient initialement été confiés à l’architecte Jean-Baptiste Lepère en 1824. Le projet sera ensuite repris par son gendre, l’architecte Hittorff, en 1831. L’église Saint-Vincent-de-Paul se situe au sommet d’escaliers entourés de jardin et est inscrite monument historique le 30 novembre 1944, puis classée le 29 août 2017. À l’intérieur, de nombreux trésors se signalent dont un Calvaire du maître-autel de Rude, un orgue Cavaillé-Coll de 1852 et une belle fresque de 92 m de long, œuvre du peintre Flandrin de 1853.
Dans cet enclos Saint-Lazare qui couvrait une bonne part du quartier se trouvait en plus de la léproserie un moulin et la ferme Saint-Lazare, à l'origine de deux noms de voies actuelles : le passage de la Ferme-Saint-Lazare, dans lequel subsiste un ancien puits à eau, et la cour de la Ferme-Saint-Lazare aménagée le long du principal bâtiment de la communauté. Dans ces deux voies, on trouve de nombreuses caves voûtées du xviie siècle.
En prenant sur quelques mètres la rue d’Hauteville − qui tient son nom de Jean-Baptiste de La Michodière, comte d’Hauteville (né en 1720), prévôt des marchands de Paris de 1772 à 1777 −, on arrive à la rue Chabrol qui rend hommage depuis 1822 au préfet de la Seine, nommé en 1812 par Napoléon Ier, le comte Gilbert de Chabrol de Volvic (1773-1843). C’est de cette rue qu’est née en 1899, durant le procès en réhabilitation du capitaine Dreyfus, l’expression « fort Chabrol » désignant un îlot de résistance. Cette rue a été ouverte elle aussi à l'emplacement de l’enclos Saint-Lazare et c’est par elle que l’on peut accéder au passage et à la cour précités.
Au carrefour de la rue Chabrol et du boulevard de Magenta − souvenir de la grande victoire de la France en Italie en 1859 − se trouve le Marché Saint-Quentin situé dans une grande halle aux structures métalliques. En prenant en face la rue de Saint-Quentin, elle aussi typique du Paris haussmannien, on atteint la place Napoléon III − seul hommage de la voierie de la capitale qui lui doit pourtant sa physionomie –, parvis de la gare du Nord, bijou architectural du Second Empire.
GARE DU NORD
Avec la gare du Nord nous retrouvons le génie d’Hittorff. C’est en effet le 16 janvier 1861 que James Rothschild demanda à l’architecte un plan pour la reconstruction de la gare du réseau du Nord désormais trop petite. Le nouvel édifice (toujours en place) se compose d’une large façade en pierre de taille comportant un grand corps central défini par huit grands pilastres ioniques accouplés et un ensemble de statues, situées dans l’entablement séparant le rez-de chaussée et l’étage, qui représentent les principales villes desservies.
Sur la clé de voûte du fronton on peut admirer La Ville de Paris de Pierre Cavelier entourée de figures de huit villes étrangères dont Amsterdam. Au niveau du parvis, une sculpture d’art moderne s’offre au public, un ours ailé, Angel Bear, œuvre de Richard Texier, datant de 2015. L’arrière est une magnifique charpente métallique portée par de hautes colonnes de fonte.
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